Introduction.
Probablement aucune époque n’a autant noté, apprécié, mesuré, en un mot évalué, que la nôtre. Des performances à la productivité, de la satisfaction clients à celles des collaborateurs, très peu de sujets en entreprise échappent encore à la sacro-sainte mécanique de la quantification. Pourquoi évalue-t-on ? Pour des raisons très diverses qui convergent toutes vers une seule et même direction : l’amélioration. Cette louable ambition doit donc nous questionner sur le sens des évaluations conduites dans les entreprises, en particulier celles qui visent à accompagner nos collaborateurs sur le chemin du progrès…
L’entretien d’évaluation annuelle : échange à fort enjeu ou processus obligatoire ?
Fin d’année oblige, et si l’on faisait un bilan de cette année 2022 et que l’on choisissait nos bonnes résolutions pour 2023 ? Côté bilan : quelles sont mes fiertés ? Quelles sont les choses que j’aurais aimé faire différemment ? Quelles sont celles que j’éviterai à l’avenir ? Côté bonnes résolutions : quelles sont mes envies pour l’année prochaine ? Qu’est-ce qui est atteignable et réaliste au regard de qui je suis ? Qu’est-ce qui ne tiendra pas plus de trois jours ?
En entreprise, c’est donc également l’époque de l’évaluation de l’année écoulée et de la prospective pour 2023… Et pas question de proposer des actions ou des objectifs inadaptés ou utopiques !!
En fonction des entreprises, l’exercice porte un nom variable : « Entretien Annuel » va ainsi être associé à différents substantifs : d’Évaluation (EAE), de Développement (EAD), d’Objectifs (EAO) ou encore, notre chouchou, de Suivi de la Performance (ESP).
Contrairement à l’entretien professionnel (Loi 2014-288), cet entretien annuel n’est pas une obligation légale. C’est un droit qui relève du pouvoir de direction de l’employeur (Arrêt Cassation Soc. 10 juillet 2002 n°00-42.368). Toutefois, certains accords d’entreprise ou conventions collectives peuvent en imposer leur mise en place et leur réalisation.
Le discours classique énonce qu’il s’agit d’un échange entre le manager et son collaborateur, une fois par an (à minima) pour faire le point sur l’année qui s’achève et définir les actions prioritaires pour celle à venir.
Au-delà de cette évidence, l’entretien a pour but d’évaluer le collaborateur sur sa performance au regard de l’atteinte des objectifs définis sur la période antérieure et de donner, au travers d’objectifs co-construits, une vision opérationnelle de la stratégie de l’entreprise.
Jusqu’en 2014, c’était aussi l’occasion de parler formation et perspectives d’évolution. Depuis la réforme de la formation professionnelle par la Loi du 5 mars 2014, la séquence « carrière » et une partie du volet formation ont dû être extraites puisqu’elles appartiennent dorénavant à l’entretien professionnel.
Quel sens à cet échange, quelle logique à cette évaluation ?
Avant de parler processus RH, performance et objectifs, une précision sémantique s’impose. En effet, notre cadre de référence français tend à mettre une certaine emphase sur le contexte de l’évaluation, et parfois un certain stress sur les moments dans lesquels nous sommes évalués, ou au cours desquels nous devons évaluer le travail d’un collaborateur. Pourtant, si l’on revient aux origines, le mot évaluation trouve ses racines étymologiques, il vient du latin “valere”, qui signifie être bien portant, avoir de la valeur. Cette précision préalable est de première importance : si l’on considère qu’évaluer, c’est donner de la valeur aux résultats comme aux contributions des collaborateurs, cela montre qu’au-delà du caractère fondamental de ce processus RH, il doit également constituer un levier managérial de premier plan.
On entend dans ce propos introductif que, quelle que soit l’évaluation des performances objectives du collaborateur, il s’agit également, au travers de cet entretien d’évaluation, de nourrir sa motivation en valorisant ses accomplissements et contributions, de façon à le mettre dans les meilleures conditions possibles pour mobiliser l’ensemble des moyens à sa disposition pour atteindre les objectifs conjointement fixés pour l’année suivante. L’exercice semble naturel dans le cas d’un collaborateur qui satisfait aux attentes de son manager et de l’entreprise, mais beaucoup moins évident si ce n’est pas le cas. Certaines entreprises choisissent de traiter la difficulté en faisant un entretien de performance sortant, sur l’année écoulée, puis un autre au démarrage du nouvel exercice.
Dans cette perspective, il apparaît d’ores et déjà que la mesure des progrès effectués, indépendamment même des objectifs chiffrés (qu’ils soient atteints ou pas), est primordiale.
On comprend par conséquent que ce processus RH spécifique doit se dessiner à deux mains (collaborateur et manager opérationnel), telle une courbe de progression, nourrie, certes, par des informations chiffrées et la mesure du delta entre objectif et réalisé, mais prenant ses racines dans les progrès passés du collaborateur et orientée vers l’évolution que lui offre son manager, et par extension, l’entreprise.
En effet, tout objectif exige de l’implication et des efforts de la part du collaborateur, mais également les moyens de les atteindre : organisation du travail, formations, accompagnement et suivi… et chacun de ces aspects doit faire l’objet d’une réflexion, avant le jour « j », mais aussi d’un échange pendant l’entretien annuel d’évaluation.
Bonnes pratiques et approche Scale Up Learning.
L’approche Scale Up Learning en matière d’évaluation est de donner à ce processus RH toutes les dimensions qui doivent être les siennes : donner du sens aux missions du collaborateur, en inscrivant sa contribution dans celle de son équipe, et en mettant celle de son équipe en relation avec les axes stratégiques de la roadmap de l’entreprise, en valorisant le chemin parcouru comme les accomplissements, et en invitant le collaborateur à s’exprimer sur ses aspirations de développement, de montée en compétences, de progrès, pour enfin l’accompagner, au travers des principes présentés ci-dessous, dans l’élaboration d’objectifs concrets et motivants.
Les bonnes pratiques sont généralement répandues dans la plupart des organisations, parmi les plus courantes :
- Anticiper l’entretien en demandant au collaborateur de le préparer, grâce à une trame d’entretien, et le préparer soi-même,
- Consacrer une durée suffisante à cet entretien, une heure à minima,
- Offrir un espace d’expression au collaborateur et le stimuler par des questions ouvertes,
- Valoriser les réussites et les contributions,
- Fixer des objectifs concrets,
- Fixer des objectifs SMART (Spécifiques, Mesurables, Ambitieux, Réalistes, Temporels),
- Prévoir des entretiens intermédiaires de suivi de la performance,
Pour autant, si le consensus se dégage généralement sur ces bonnes pratiques, deux questions entêtantes reviennent dans toutes les formations à destination des managers qui traitent du sujet de l’évaluation.
« Comment faire pour trouver un indicateur pour chaque objectif ? »
Certains objectifs sont en effet plus qualitatifs que quantitatifs : dans ce cas, comment formuler la cible ? Par exemple, si un collaborateur doit progresser dans ses relations avec les autres services de l’entreprise, il peut sembler compliqué de donner un indicateur chiffré. Cet axe de progrès, s’il est réalisé, donnera lieu à un ou des comportements observables du type : le manager ne recevra plus, ou recevra moins de plaintes de la part des interlocuteurs concernés. Dans cet exemple, l’indicateur peut être formulé sous forme de nombre de réclamations maximums à ne pas dépasser, 0, 1, 2… en fonction du contexte.
« Comment motiver mes collaborateurs par rapport à leurs objectifs ? »
Une approche plutôt récente de la notion de performance et d’objectifs en entreprise est ici tout à fait secourable : la méthode OKR, en anglais dans le texte, Objectif Key Results. On traite ici des objectifs et résultats clés qui montreront leur atteinte : c’est une méthode de définition des objectifs mesurables, qui a été mise au point par John Doerr. Cette approche conjugue les objectifs que vous voulez voir atteindre par le collaborateur, aux résultats clés que vous utiliserez pour évaluer sa performance. De cette manière, les objectifs seront directement associés aux activités quotidiennes de votre collaborateur.
Par exemple, si vous managez une équipe d’ingénieurs commerciaux, et que vous souhaitez spécifiquement que l’un d’entre eux améliore de façon significative, la globalité de sa relation avec les clients de son portefeuille :
Objectif : Améliorer la relation avec tes clients.
- Résultat clé #1 : augmentation du taux de satisfaction à 92 %,
- Résultat clé #2 : baisse du nombre de réclamations à 1,1 %
- Résultat clé #3 : diminution du temps de réponse de 48 heures à 24 heures
En termes de motivation, c’est un autre aspect de l’approche développée par John Doerr qui nous intéresse. En effet, dans les objectifs fixés aux collaborateurs lors de leur entretien annuel d’évaluation, il arrive fréquemment que l’atteinte de cet objectif dépende aussi d’éléments n’étant pas directement et uniquement entre les mains du collaborateur. Par exemple, si un manager dans le retail a pour objectif de dimensionner son équipe à la croissance de son chiffre d’affaires en recrutant 3 vendeurs à temps plein, le contexte économique, l’image de marque de son enseigne, le niveau de tension du métier sur lequel il doit recruter… sont autant de facteurs sur lesquels il n’a aucune prise, mais qui détermineront pourtant pour partie, sa capacité à atteindre son objectif. Comment le responsabiliser sur cette ambition tout en le motivant à la fois ? Dans ce cas, on procèdera en distinguant avec lui, dès le moment de la fixation de l’objectif, les actions ne résidant qu’entre ses mains, des facteurs externes. Ainsi, il lui sera beaucoup plus aisé de construire le plan d’actions qui doit lui permettre d’être au rendez-vous, et pour son manager de le suivre.
Un dernier mot enfin, pour partager une approche un peu inhabituelle du suivi des objectifs. Si beaucoup de managers suivent le travail, les progrès de leurs collaborateurs et mesure les objectifs sans attendre la fin de l’année, aussi évident que cela puisse paraître, un collaborateur junior récent dans son poste, et un expert chevronné, n’auront probablement pas les mêmes besoins et attentes en matière de suivi de leurs objectifs : là aussi, il faut individualiser la démarche d’accompagnement.
En conclusion…
Si la mesure des performances, notamment l’atteinte des objectifs, est fondamentale pour l’entreprise et pour le manager, elle l’est tout autant pour le collaborateur, et l’entretien d’évaluation annuelle est sans nul doute une excellente occasion de montrer la valeur que vous accordez à son travail, à sa présence au sein de votre collectif, et bien sûr, à ses performances. Les cérémonies de réussite, rituels de plus en plus pratiqués en entreprise, peuvent excellemment compléter cette approche !
RÉFÉRENCES
- Loi 2014 – 288 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000028683576/
- Arrêt Cassation Soc. 10 juillet 2002 n°00-42.368 :
- https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007442093/
- https://www.village-justice.com/articles/entretien-annuel-professionnel-modalites-consequences-sur-carriere-salarie,41849.html